Jozerand - sa petite histoire

Trois noisettes dans le bois…

Ce n’est pas le début d’un conte mais d’un poème que ceux de mon âge apprenaient au Cours Préparatoire avec M. SOL. Cela ne nous rajeunit guère. Ces trois noisettes qui prétendaient aller –selon le titre- à l’enterrement d’une feuille morte sur la coquille d’un escargot, nous paraissaient très fofolles et fantaisistes, mais rien n’étonne très longtemps les enfants. Et c’est ce joli souvenir qui m’a suggéré de parler des arbustes qui poussent chez nous, près des maisons ou dans les haies.
Fort malmenés par le remembrement, on les rencontre encore, là où ils se contentent d’une terre pauvre et sans engrais. Ils y témoignent de leur ardeur à vivre, de leur beauté souvent, de leur originalité parfois et de leur utilité sans cesse contestée.
Je laisserai de côté ceux qu’on dit "d’ornement" : thuyas, lauriers, troènes. Trop sophistiqués, ils n’ont pas la résistance des rustiques, même s’ils prospèrent un temps, car la grande sécheresse ou les gels profonds peuvent avoir raison d’eux.
Je commencerai donc par le plus modeste, le plus banal presque : le noisetier. Il a très bon caractère, s’épanouit et se multiplie à plaisir ; alors on arrête un peu cette effervescence d’un coup de sécateur. Sans se vexer, il repart de plus belle l’année d’après… Sous ses feuilles rondes, dentelées, les noisettes, par deux, par trois, pointent le nez… Un petit nez mou et pâlot d’abord, puis qui s’affermit et prend une belle couleur bronzée. Les amateurs que nous sommes et aussi les vermisseaux, les écureuils, en sont tous très friands.

Trois noisettes dans les bois
Tout au bout d’une brindille
Dansaient la capucine »
Dit Tristan Klingsor.

Et c’est vrai, quand le vent balance le noisetier, regardez bien, enfants, vous les verrez danser la capucine…
Le sureau me paraît un bon compagnon du noisetier, vigoureux, increvable même comme on dit. Il surgit, il se multiplie, lui aussi, il repousse, il renaît après des années de disparition, tout en se contentant de peu : d’éboulis, de ruines, de terrains vagues, pas trop loin des habitations quand même car il est très sociable.
A chaque saison, il propose ce qu’il a de mieux : au printemps, ses larges ombelles d’un blanc ivoire où l’on plonge le nez pour le retirer jaune de pollen. En été, apparaissent en grappes plates ses fruits d’un rouge vineux. A l’automne voici ces mêmes grappes passées au noir, d’un beau noir luisant.
On apprenait aux enfants d’ici que c’était un poison très dangereux. Et bon, on se rabattait sur les branches pleines d’une épaisse moelle blanche… On pouvait en tirer… de quoi fumer, ou même se fabriquer un pipeau… Mais dans d’autres régions, les baies devenaient un régal une fois transformées en confiture ou même en eau de vie !
Connaissez-vous le prunellier ? Lui aussi est très banal. Il est très offusqué que souvent on le confonde avec l’aubépine. C’est pourquoi, il se hérisse d’épines noires, longues, acérées pour rappeler qu’il n’est pas l’aubépine justement ; d’ailleurs, il fleurit beaucoup plus tôt. Il n’attend même pas d’avoir des feuilles. Tout d’un coup, ses branches et ses brindilles se recouvrent de milliers d’étoiles blanches. Une vraie neige. « C’est l’hivernée du buisson » disait-on…Tout seul, tout blanc, quand le printemps hésite encore, le prunellier éclaire les haies, et secoue ses innombrables petites lumières, doucement parfumées. Aux premiers froids, on pourra goûter ses fruits, les prunelles bleues auxquelles les gelées ont enlevé leur âpreté.
Un original, c’est le fusain… Rare comme tous les originaux. On fait surtout attention à lui à la fin de l’été quand il nous tend sur ses branches fines, ses si jolis petits fruits d’un rose carminé lumineux et délicat. Tout à fait inattendus parmi les feuillages gris ou fauve. Si on les regard de près, on distingue leur forme curieuse à 4 lobes, en forme de bonnet ou plus exactement de barrette de curé. Alors on appelle parfois le fusain « bonnet d’évêque ou de curé ».
Etrange décidément le fusain : attractif et répulsif à la fois car de son bois on tirait les fuseaux des fileuses, ou bien le fusain à dessiner lorsqu’on l’avait brûlé et transformé en charbon. Mais ses fruits, contrairement à ceux du sureau sont très toxiques… et on doit se contenter de les admirer…Et là, c’est vrai. Rien à en tirer du bonnet d’évêque dont la couleur en ferait plutôt un bonnet de cardinal !
J’ai gardé pour la fin trois merveilles : le chèvrefeuille, l’aubépine, et l’églantier.
Les pauvres, en certains endroits, ils en ont pris un sacré coup comme on dit… Trop beaux, trop élégants, moins costauds que les autres peut-être… Leur beauté surtout, considérée comme inutile leur a valu d’être impitoyablement arrachés…
Tout de même, il en reste quelques uns…
On appelle les chèvrefeuilles « Honeysuckle » en Angleterre. Miel-sucre. Et le parfum de leurs fleurs en mini-trompettes fait penser en effet à ce suave mélange. Pas d’épines, des couleurs indicibles qui vont du jaune pale à l’ocre, passant par l’orangé, le rouge sombre… et une tendance à lancer ses branches souples comme des lianes. C’est un arbuste toute douceur.
L’aubépine et l’églantier sont plus agressifs. Mais c’est par les fleurs, eux aussi, qu’ils sont séduisants.
J’ai planté il y a environ 10 ans, une aubépine près de chez moi, elle est superbe aujourd’hui et tous les printemps, je contemple cette beauté blanche, ces corolles foisonnants qui se révèlent par leur parfum avant que d’être vues.
L’églantier, lui, ajoute une petite touche de rose à ses pétales… Et il fleure bon la pêche… pas la pêche de l’Intermarché, dure comme caillou ou talée, mais la pêche de vigne, si savoureuse…
Au 16ème siècle, Ronsard chantait déjà le bel aubépin. Comme tous les poètes, il prêtait aux arbres et à toutes les plantes, une vie de l’être, étrangement semblable à la nôtre, et donc il lui souhaitait longue vie :

Or, vis gentil aubépin
Vis sans fin
Vis, sans que jamais tonnerre,
Ou la cognée, ou les vents,
Ou les temps
Te puissent ruer par terre »